La plateforme d’e-commerce Temu, célèbre pour ses prix défiant toute concurrence, vient de surprendre ses utilisateurs américains en supprimant soudainement tous les produits expédiés depuis la Chine. Cette décision, intervenue début de semaine, marque une rupture nette avec le modèle économique qui avait fait le succès de l’application aux États-Unis. Retour sur les causes, les conséquences et les nouvelles orientations de Temu face à la fin de l’exemption “de minimis” et à la guerre commerciale sino-américaine.
Une suppression massive avant l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane
Jusqu’à fin avril, les consommateurs américains pouvaient choisir sur Temu entre :
- Des articles “local” stockés dans des entrepôts aux États-Unis et livrés sans droits de douane.
- Des produits expédiés directement depuis la Chine par avion, souvent en quelques jours et à des tarifs très bas.
À partir du 25 avril, l’entreprise avait d’abord annoncé une hausse des prix pour les articles provenant de Chine, puis ajouté une mention “coût d’importation” pour alerter les acheteurs sur l’impact des droits en vigueur. Mais le véritable coup de théâtre est survenu le 29 avril, lorsque les clients ont constaté que la version américaine du site n’affichait plus aucun produit hors sol américain. Seuls les articles marqués “local” demeurent consultables.
Le contexte de la suppression de l’exemption “de minimis”
Cette mesure est directement liée à la révocation, décidée par un décret de Donald Trump, de l’exemption “de minimis” pour les importations chinoises (jusqu’à 800 $) à compter du 2 mai 2025. Durant des années, Temu et d’autres plateformes ont bénéficié de cette réglementation qui permettait aux particuliers américains de commander des marchandises de faible valeur sans payer de droits. Avec la fin de cette exception, tout colis en provenance de Chine devient assujetti à des taxes, gonflant considérablement le prix final pour le consommateur.
Réactions des clients et des vendeurs
Sur Reddit, plusieurs utilisateurs ont témoigné de leur désarroi :
- Des produits enregistrés dans leurs favoris ont disparu du catalogue d’une nuit à l’autre.
- Des vendeurs spécialisés en mobilier ont vu leurs listings “Chine” se volatiliser, sans explication préalable.
- Le service client de l’application se contente d’indiquer que les articles étrangers ne sont “pas disponibles pour l’instant”.
Côté fournisseurs chinois, l’absence de communication en amont a provoqué une véritable panique. Certains vendeurs ont même été retirés purement et simplement de la plateforme avant de réapparaître mystérieusement quelques jours plus tard, selon des témoignages sur le réseau social chinois RedNote.
Temu devient “à l’américaine”, mais à quel prix ?
Pour l’analyste Juozas Kaziukėnas, “Temu ressemble désormais beaucoup à Amazon : tout ce que vous commandez provient des stocks locaux, livré en quelques jours.” Ce repositionnement offre un avantage : la rapidité et la fiabilité de la livraison. En revanche, la sélection de produits se réduit drastiquement. De nombreux articles à bas coût, signés de petits fabricants chinois, ne sont plus accessibles, ce qui déçoit les utilisateurs attirés avant tout par ce catalogue quasi infini.
Une reconfiguration logistique : l’arrivée du programme Y2
Pour atténuer l’impact de la suppression des expéditions directes, Temu a travaillé sur un nouveau modèle “Y2” :
- Les vendeurs chinois expédient chacun leurs commandes individuellement vers les États-Unis, gérant eux-mêmes les droits de douane et les formalités.
- Temu conserve un rôle de plateforme, mais délègue le stockage et la logistique transpacifique aux marchands.
Ce système rappelle le service “Fulfillment by Merchant” d’Amazon. Il vise à garantir une meilleure disponibilité des produits, tout en répondant aux exigences douanières américaines. Cependant, la transition s’annonce complexe pour de nombreuses entreprises, comme l’admet un vendeur de mobilier : “Nous ne pouvons pas tout modifier du jour au lendemain, nous restons dans l’observation.”
Impact sur les prix et l’expérience utilisateur
Au-delà de la sélection, la suppression de l’exemption “de minimis” et la réorganisation logistique entraînent :
- Une augmentation probable des tarifs pour compenser les droits de douane.
- Des délais de livraison plus longs, liés aux procédures douanières renforcées.
- Un risque de rupture de stock pour les articles produits uniquement en Chine.
Certains consommateurs pourraient dès lors se tourner vers des alternatives locales ou des géants établis comme Amazon, misant sur la stabilité des prix et des délais maîtrisés.
Un avenir incertain pour Temu aux États-Unis
L’entreprise tente de compenser la perte du marché chinois aux États-Unis en renforçant sa présence dans d’autres zones géographiques. En Europe, par exemple, les droits d’importation sont moins contraignants, ce qui a déjà permis à certains vendeurs de constater une hausse de leurs ventes, malgré le retrait forcé des produits américains. Reste à savoir si Temu parviendra à maintenir son positionnement “prix hyper bas” face à ces nouvelles contraintes.
Quel enseignement pour l’e-commerce mondial ?
La montée des tensions commerciales entre les grandes puissances pousse les plateformes à adapter leur chaîne d’approvisionnement et à diversifier leurs entrepôts. Pour Temu, qui a bâti son essor sur des flux rapides et peu coûteux depuis la Chine, la volatilité politique devient un défi majeur. À long terme, la réflexion stratégique devra intégrer :
- La constitution de stocks régionaux pour limiter la dépendance à un pays unique.
- La transparence sur les coûts finaux, en listant clairement les taxes et droits de douane.
- L’équilibre entre prix bas et fiabilité logistique pour conserver la confiance des clients.
La décision de Temu de restreindre son catalogue américain illustre la fragilité des modèles d’e-commerce ultra-mondialisés face aux aléas géopolitiques. À suivre de près pour mesurer l’impact sur les habitudes d’achat des consommateurs américains.