Un enjeu majeur pour l’exploration humaine
Imaginer une grossesse en dehors de l’atmosphère terrestre relevait autrefois de la pure science-fiction. Pourtant, avec la multiplication des projets de colonisation lunaire et martienne, la question de la reproduction en milieu extra-planétaire devient cruciale. Sans la capacité de concevoir et de mener à terme une grossesse, l’installation de colonies autonomes est condamnée à demeurer un rêve. C’est ce que rappelle Arun Vivan Holden, professeur émérite de biologie computationnelle, dans sa récente revue publiée dans Experimental Physiology.
Les défis de la microgravité
Le premier obstacle tient à la gravité quasi nulle qui règne à bord de la Station spatiale internationale. Sur Terre, la gravité oriente les fluides, stabilise les organes et facilite chaque mouvement. En apesanteur :
- Les liquides corporels ne redescendent plus naturellement, perturbant l’oxygénation et la répartition hormonale indispensables au développement fœtal.
- La position dans l’utérus devient moins stable, rendant chaque mouvement plus aléatoire et potentiellement traumatique pour l’embryon.
- Les muscles et les os ne subissent plus de sollicitations suffisantes, avec pour conséquence une fragile ossification du squelette en formation.
En outre, le professeur Holden rappelle que, même sur Terre, près de deux tiers des embryons ne survivent pas jusqu’à la naissance. Sans microgravité contrôlée ou compensation mécanique, le risque de fausse couche, voire d’accouchement prématuré, s’en trouve fortement amplifié.
La menace des radiations cosmiques
L’autre grand défi est d’ordre radiatif. Privé de la couche atmosphérique protectrice, le corps humain se trouve exposé en permanence aux rayons cosmiques, particules chargées à haute énergie capable d’infliger des dégâts irréversibles :
- Des collisions au sein des cellules fœtales peuvent fragmenter l’ADN, déclenchant des mutations susceptibles d’entraîner malformations ou cancers.
- Une inflammation aiguë peut dégrader les tissus et perturber la prolifération cellulaire, essentielle durant les premières semaines de l’embryogenèse.
- Le risque de déclenchement d’un travail prématuré augmente avec la probabilité de lésions musculaires de l’utérus, exposé aux particules lourdes.
Bien que la surface réduite de l’embryon rende un impact direct plus rare, la croissance du fœtus accroît la surface à protéger. À chaque stade, l’exposition cumulée peut compromettre la santé à long terme, tant sur le plan physiologique que neurodéveloppemental.
Les premières phases de la croissance postnatale
Supposons qu’un enfant voie le jour avec succès : la découverte d’un environnement sans “haut” ni “bas” pose de nouveaux défis. Un bébé apprend d’abord à lever la tête, à s’asseoir, puis à ramper et à marcher grâce à la perception constante de la gravité. En apesanteur :
- L’orientation spatiale n’existe plus, retardant l’acquisition des réflexes posturaux.
- La stimulation sensorielle liée au poids du corps est absente, freinant l’ossification et la maturation musculaire.
- La coordination motrice fine et globale se développe dans un contexte radicalement différent, sans repères terrestres.
Par ailleurs, les mêmes radiations qui menacent le fœtus risquent d’endommager le système nerveux en formation, avec des répercussions possibles sur l’apprentissage, la mémoire et le comportement.
Un effort multidisciplinaire indispensable
Face à ces obstacles, la recherche en médecine spatiale se révèle extrêmement complexe. Les scientifiques envisagent des solutions variées :
- Simulateurs de gravité artificielle, à l’aide de centrifugeuses ou d’arches tournantes, pour maintenir un hypopoid gravitationnel partiel.
- Blindages anti-radiations renforcés, implémentant des matériaux composites capables d’absorber ou de dévier les particules lourdes.
- Thérapies cellulaires et pharmacologiques préventives, destinées à réparer ou à limiter les dommages de l’ADN.
Cependant, chacune de ces options requiert des essais rigoureux et l’optimisation d’un cadre réglementaire encore inexistant. Tant que la sécurité et la viabilité à long terme ne seront pas garanties, la grossesse dans l’espace restera un pari trop risqué pour être mis en pratique.