Les baleines ne se contentent pas de fasciner les observateurs marins par leur taille colossale et leur chant mystérieux : elles jouent un rôle crucial dans le bon fonctionnement des écosystèmes océaniques, jusqu’à influencer le climat mondial. Si l’on connaissait déjà leur apport en nutriments par les excréments, une nouvelle étude met en lumière l’importance tout aussi capitale de leur urine dans le transport horizontal de substances nutritives.
Les baleines, pompes à nutriments géantes
Ces géants marins se nourrissent en eaux froides et profondes, riches en plancton et en petits crustacés. En surface, ils rejettent des excréments et de l’urine, formant de véritables « nuages nutritifs » propices à la prolifération du phytoplancton, base de la chaîne alimentaire marine. Mais l’urine, longue de plusieurs dizaines de mètres en milieu marin, n’était pas encore étudiée en tant que vecteur majeur de nutriments.
4000 tonnes d’azote déversées chaque année
Selon une équipe de l’Université du Vermont, relayée par Nature Communications, les baleines achemineraient près de 4000 tonnes d’azote annuelles vers des eaux côtières souvent pauvres en nutriments, notamment tropicales et subtropicales. Ce sont des zones de reproduction et de mise bas où les femelles se rassemblent en grand nombre, mais où la clarté des eaux signale un faible apport naturel d’azote.
- Le phytoplancton, grâce à cet azote supplémentaire, voit sa croissance stimulée.
- Le plancton sert de nourriture aux poissons, aux crustacés, et remonte la chaîne trophique jusqu’aux oiseaux marins et aux mammifères.
- Cette fertilisation locale améliore la biomasse et la biodiversité, impactant positivement les pêcheries.
Un « tapis roulant » de l’Alaska aux Hawaï
Les migrations annuelles des baleines grises ou à bosse constituent un flux continu de nutriments. Les mères chargées de gros volumes de graisse (certaines prennent jusqu’à 14 kg par jour pendant la saison d’alimentation) traversent des milliers de kilomètres pour donner naissance en eaux tropicales. Là, leur urine et leurs excréments concentrés forment un « entonnoir nutritif » plus dense que les apports locaux, au point de doubler la quantité de nutriments provenant des sources terrestres ou côtières.
Des géants sous-estimés du cycle planétaire
Au XIXᵉ siècle, avant la chasse intensive, les populations de baleines étaient jusqu’à trois fois plus importantes. L’apport nutritif aurait alors été proportionnellement supérieur, favorisant une productivité océanique maximale. Les scientifiques comparent désormais les baleines à un véritable système circulatoire mondial :
- Elles déplacent l’azote et le phosphore sur des milliers de kilomètres.
- Le cycle de l’azote, indispensable à la photosynthèse du plancton, dépend en partie de leur présence.
- La restauration des populations de baleines pourrait contribuer à renforcer la séquestration du carbone, en stimulant la biomasse marine.
Implications pour la conservation et le climat
Reconnaître les baleines comme des alliées écologiques majeures renforce l’argumentaire en faveur de leur protection. Au-delà de l’éthique et de la biodiversité, préserver ces espèces participe indirectement à la régulation du climat. Plus de plancton signifie davantage de capture de CO₂ atmosphérique et un océan plus résilient face au réchauffement. Les efforts de conservation et l’interdiction de la chasse commerciale sont donc des leviers essentiels pour restaurer ces « circuits nutritifs » océaniques.
Leçons pour l’avenir des océans
Alors que l’activité humaine modifie les cycles naturels et que la surpêche appauvrit les mers, les baleines offrent un modèle de service écosystémique. Leur retour progressif dans certaines régions déjà protégées suggère une possible renaissance des zones marines productives. Intégrer la biologie des baleines dans les politiques marines peut ainsi permettre de restaurer la santé des océans, garantir la survie du plancton et maintenir la chaîne alimentaire qui nourrit des milliards d’humains.